Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le bouddhiste médite pour réaliser la vision pure transmise par le Bouddha. Il prie pour l’éveil de tous les êtres et leur délivrance

« Jusqu’à ce que soit atteint le cœur de l’éveil, je prends refuge en le Bouddha... » Dans le Vajrayana et, sous une forme ou une autre, dans les diverses écoles bouddhistes, toutes les pratiques commencent par cette formule répétée trois fois. Il s’agit de la prise de refuge en les Trois Joyaux qui sont : le Bouddha, le Dharma (son enseignement) et le Sangha (la communauté des êtres éveillés) consistant à renouveler la confiance en eux et à solliciter leur grâce.


Dans le bouddhisme, il n’y a ni Dieu créateur ni dieux au sens des religions polythéistes. A qui peut donc s’adresser la prière ? La formule « jusque soit atteint le cœur de l’éveil » suggère une réponse extraordinaire : à soi ! Mais le bouddhisme affirme l’anatman, l’absence de soi, d’âme, de tout principe spirituel permanent et stable ou éternel. Toutefois, les êtres, même le plus chétif insecte ou le démon le plus nuisible, possèdent la nature de bouddha et sont appelés à la réaliser. S’ils ne la possédaient pas, d’ailleurs, comment pourraient-ils jamais l’atteindre ?


L’orant, ou plutôt le méditant, prend refuge en sa propre nature de bouddha, état indéfinissable car au-delà de toute conception, état supra personnel, transcendant le un et le multiple. On peut dire de cette nature de bouddha qu’elle est non créée, non formée, non conditionnée, non composée. Ou encore qu’elle est semblable à l’espace, clarté-luminosité, et non-obstruction, ce qui signifie que sa vacuité n’est pas le néant et qu’elle peut se manifester sous n’importe quelle forme, sans aucune limitation.


Selon la vérité ultime, nous sommes déjà bouddha et le don, première des vertus transcendantes, n’est guère qu’une énergie qui circule : le donneur est vide d’existence propre, de même que le don et son bénéficiaire. Mais nous vivons dans l’ignorance fondamentale, ne reconnaissant pas cette nature de bouddha, nous identifiant au contraire à notre ego. Nous ne pouvons donc guère appréhender les Trois Joyaux que comme extérieurs à nous-même. Nous expérimentons ainsi la vérité relative selon laquelle il faut pratiquer le don et les autres vertus, de même que divers exercices spirituels destinés à découvrir par soi-même sa propre nature de bouddha pour se libérer des voiles qui la masquent. Et jusqu’à l’éveil, c’est-à-dire la réalisation de sa bouddhéité, toute la vie du pratiquant est régie par cette vérité relative, sur laquelle s’appuie la majeure partie des enseignements du Bienheureux.


Néanmoins, le pratiquant ne doit pas oublier la vérité ultime, qui est le but de son chemin spirituel. Cette perspective est fondamentale pour couper tout attachement à l’ego, mais aussi à sa religion, à tout ce que l’on s’approprie : ma voie, mon corps, mon esprit, ma réalisation spirituelle, etc. Le Bouddha a comparé son enseignement à une barque nécessaire pour traverser le fleuve. Cela fait, il faut rejeter cette barque, devenue inutile. Il s’ensuit une grande leçon de tolérance : peu importe le chemin qui conduit à l’éveil, la seule chose qui compte est qu’il y mène, et s’attacher à la barque comme à une relique serait un obstacle à l’obtention de l’éveil. Ainsi, la tolérance fait-elle partie de la voie.


Comment « prie » un bouddhiste ?


Il faudrait plutôt parler de méditation, car chaque requête, adressée au maître spirituel (considéré comme le Bouddha lui-même) ou à un “Yidam” (divinité de lien, aspect sous lequel peut se manifester une qualité particulière de la nature de bouddha), est accompagnée d’un exercice spirituel, exécuté dans une posture adéquate : le calme mental, la vue profonde, ou les pratiques des écoles du Vajrayana dans lesquelles le pratiquant se visualise sous la forme d’un Yidam, récitant son mantra, puis dissout cette vision et demeure « dans la vacuité », qui s’apparente un peu, dans la tradition chrétienne, à une sorte de contemplation : le méditant demeure ici et maintenant, sans suivre pensées ni images mentales. La pratique d’un Yidam et la récitation de son mantra (qui signifie parole de protection) consiste à substituer à la vision de son environnement selon ses projections impures relevant d’une saisie dualiste (moi et autrui, le bien et le mal, ami et ennemi, etc.) une vision pure transmise par le Bouddha et les êtres éveillés.


On peut distinguer deux grands types de pratiques : celles qui visent à éradiquer les « émotions perturbatrices » qui voilent la nature de bouddha et celles qui s’appuient directement sur celle-ci. Pour y parvenir, deux accumulations sont nécessaires : celle de vertu et celle de sagesse, qui consiste à réaliser (et non pas comprendre, de façon intellectuelle) l’absence de soi des êtres et des phénomènes.


Les émotions perturbatrices sont généralement appelées péchés en Occident : colère, avarice, stupidité, désir-attachement, jalousie et orgueil, en sont les principales, celles qui génèrent une renaissance dans l’un des six mondes douloureux, le samsara. Le Bouddha a recensé quatre-vingt-quatre mille combinaisons d’émotions perturbatrices et son enseignement comprend les quatre-vingt-quatre mille antidotes. Le maître spirituel agit donc envers son disciple comme le médecin envers son malade. Il lui prescrit un ou des antidotes adaptés à son cas, à lui de suivre l’ordonnance. En ce sens, l’approche spirituelle bouddhiste n’est pas judiciaire, avec punition des pécheurs ou récompense, mais médicale. La cause des souffrances est l’ignorance qui fait chercher le bonheur par des moyens erronés, comme l’assoiffé qui se désaltérerait en consommant des fruits empoisonnés.


Pourquoi prier ?


Pour l’éveil de tous les êtres, l’éradication de toute possibilité de souffrance ou d’insatisfaction, sans distinction de bons ou de méchants, d’amis ou d’ennemis. Un être du samsara, vivant dans l’ignorance, ne peut pas grand-chose pour autrui. Les actes de générosité ne peuvent soulager que quelques milliers d’êtres, peut-être quelques millions, dans le cas d’une générosité exceptionnelle, et seulement durant l’existence présente. En revanche, l’obtention de l’éveil donne des pouvoirs extraordinaires pour aider les êtres à se libérer. Qui peut mieux montrer le chemin que celui qui a déjà fait le parcours ? Le bodhisattva, le courageux combattant de l’éveil, privilégie le salut de tous les autres sur le sien propre. Son vœu est celui des quatre incommensurables, de l’amour, de la compassion, de la joie et de l’équanimité dont le premier est : « Puissent tous les êtres posséder le bonheur et les causes du bonheur ! »

Article de Jean-François Gantois publié dans Buddhaline en 2000

Transcription du 10 avril 2016 par Chantal Gorski

Tag(s) : #Articles

Partager cet article

Repost0